22 janvier 2014
Voilà, nous y sommes ! La veille du départ pour notre premier bain dans l'Atlantique ! Plus de 10 jours que nous stationnons à Gibraltar, à La Linea plus exactement, c'est-à-dire dire du côté Espagnol de la frontière... C'est un drôle d'endroit, loin d'être agréable, on se croirait d'ailleurs à Fos Sur Mer, ou sur l'étang de Berre.....
En effet, tout autour de la baie s'alignent les usines de pétrochimie et l'odeur qui va avec... Au mouillage, des dizaines d'énormes cargos en attente... La ville elle-même n'est pas très propre, aucun attrait « touristique » (d'ailleurs, malgré mes recherches, impossible de trouver une carte postale pour envoyer à nos petits « fans » français, incroyable!)...
Nous avons cependant visité le fameux rocher de Gibraltar, enclave britannique, nous sommes montés au sommet mais la brume dense empêchait de voir la Côte Africaine, à seulement une trentaine de kilomètres en face de nous ! Nous avons quand même croisé les fameux macaques du rocher, le téléphérique abandonné et respiré un peur l'odeur de la « terre » puisqu'il y a quelques balades à faire dans les environs (avec un bon dénivelé tout de même!). Petit tour dans la vieille ville, remplie de pubs et de magasins « duty free » (on se croirait un peu dans un hall d'aéroport!).
Le soir, après avoir fait les provisions de Pastis (détaxé là bas) puis quelques emplettes au ship, nous repassons la frontière, matérialisée par la piste de l'aéroport que des dizaines de piétons, automobilistes, traversent chaque jour... Etrange flux, à peine contrôlé par la douane et la police des frontières...
Tous les soirs, nous nous rendons au bar du port où nous nous connectons à Internet pour suivre la météo... Pas de fenêtre avant une bonne semaine, bon, ce sera l'occasion de régler quelques derniers détails techniques sur le bateau et surtout de trouver le moyen de faire livrer la pièce défaillante de notre enrouleur. Au fil des jours, le froid s'installe, partout de la neige ce qui nous amène un vent de Nord Ouest absolument glacial, un peu l'équivalent de notre mistral puisque les températures locales frôlent le zéro ! Nous commençons un peu à nous impatienter, le coin est vraiment loin d'être sympa et les pontons sont absolument déserts, c'est d'une tristesse... On rêve de chaleur et de mer calme, de décors paradisiaques... Allez, bientôt on y sera... tout se mérite !
La météo est incertaine, même les spécialistes semblent suspicieux sur l'évolution de deux dépressions qui nous tournent autour... En effet, la première arrive de l'Atlantique Nord et risque de toucher l'Espagne ou la Côte Atlantique française... De taille et d'ampleur conséquente, nous craignons son impact même si elle semble de diriger un peu au dessus de Gibraltar. Une autre dépression semble se former du côté du Maroc, un peu au dessus des Canaries ce qui aura forcément des conséquences, y compris au large, sur notre passage... Malgré tout, une baisse du vent est annoncée sur Gibraltar le mercredi 22 janvier, ce qui nous permettrait de passer le détroit mais qui qui nous amènera sur une mer un peu incertaine ensuite... On hésite un moment mais Lionel m'annonce qu'il faut tenter...
Moi je suis juste terrorisée, j'ai les yeux rivés sur la météo et ça ne me semble pas terrible du tout, trop instable... La veille du départ, nouveau bulletin météo spécial en Mer d'Alboran, c'est-à-dire la partie qui se trouve en Méditerranée, juste après le détroit de Gibraltar... Et oui, ce même BMS sévissait deux jours auparavant, côté Atlantique, du côté de Sao Vincente, nous empêchant de traverser... En plus, ça fait trois jours qu'il pleut, les températures sont au plus bas, mon angoisse grandit et devient ingérable surtout lorsqu'on apprend que la houle s'élève à 4 mètres en Atlantique et que l'état de la mer est « très agité et fort »... Mais bon, si c'est la seule accalmie et qu'elle permet de nous échapper d'ici alors... Et puis, c'est vrai qu'on serait mieux aux Canaries, au mouillage car on se fait plumer par la Marina ici... En effet, Iti Manawa mesure 12,80 mètres et nous apprenons avec stupeur que nous devons payer une taxe spéciale applicable aux bateaux de plus de 12 mètres... Ces 80 centimètres nous coûterons donc une centaine d'euros en plus du prix estimé... Les boules !!!
Nous passons notre soirée au bar, à consulter la météo puis nous réglons le réveil à 4h du matin, de manière à se trouver à dans le détroit de Gibraltar 3 heures après la pleine mer. Et oui, le passage du Détroit est très technique et délicat. En effet, seulement 30 kilomètres séparent les deux rives... L'Atlantique se déverse et remplit la Méditerranée qui s'évapore continuellement. Il s'engouffre avec une énorme force lorsque la marée monte créant ainsi des courants forts, que les petits voiliers ont du mal à contrer, surtout lorsque le vent souffle dans la même direction, c'est-à-dire en Ouest, venant de l'Atlantique. Il faut donc s'engager trois heures après la pleine mer dans le détroit, lorsque les courants commencent à s'inverser. L'idéal est de partir sous vent d'Est, au portant... Malheureusement, malgré notre patience, à ce moment de l'année, les vents d'Est sont plutôt très rares... Il faut également tenir compte de l'effet « venturi » crée à Tarifa, juste à la sortie du détroit. En effet, à cet endroit, les vents se renforcent soudainement, et s'élèvent à plus du double qu'à Gibraltar. Il faut donc parvenir à passer ce cap pour enfin entamer un virement de bord en direction du Sud. C'est à ce moment là que l'on « coupe le rail » des cargos... Et oui, car détroit de Gibraltar = concentration de cargos qui sont canalisés dans des « rails » (matérialisés sur les cartes et gps) selon le sens dans lequel ils se dirigent. Ceux qui sortent de Méditerranée longent les côtes espagnoles et les autres les côtes africaines. C'est donc un passage technique hautement risqué et complexe car plusieurs facteurs entrent en jeu, les conditions météo doivent être optimales...
Mais dans notre cas, le passage du détroit se fera au « près », pas d'annonce de bascule en vent d'est prévue et dans des conditions de vent « musclées » par cette période...
Avant de me coucher, cette veille de grand départ, un dernier coup d'oeil sur la météo, et là avis de vent frais sur Gibraltar pour cette nuit et demain après midi, avec petite accalmie dans la matinée... J'aime pas ça, on se couche, complètement crispés et tendus... Et là, le vent fort se lève, le bateau vibre à cause des rafales turbulentes qui s'engouffrent dans le mât et les haubans... On a l'impression d'être dans le simulateur des voiliers de course qu'on avait testé à Alicante, mais en pire et surtout sans bouton « stop »... Iti Manawa semble trépigner d'impatience, il ronfle et vrombit de plus belle, prêt à bondir pour s'élancer dans les tumultes de l'Océan... Nous on ne ferme pas l'oeil de la nuit tellement on est remué comme dans une machine à laver... Je ne le sens pas du tout ce départ...Puis à 4 heures du matin, sous la tourmente, nous nous préparons, la boule au ventre. Lionel court jusqu'à une connexion wifi pour télécharger un dernier fichier météo grib... La situation est toujours instable...
Après une courte réflexion, il s'agit à présent de sortir de notre place de port, pas évident l'histoire, nous sommes plaqués par des rafales à 25 nœuds sur le ponton... et nous sommes au port... On parvient malgré tout à se désengager même si on craint d'avoir un peu frotter la coque du bateau...
Nous voilà dans l'avant port, il fait nuit noire et dehors la mer moutonne de plus belle... Nous commençons à ranger les pares battages, les amarres, un peu secoués par cette mer bien trop agitée à mon goût... Nous contournons les premiers cargos et voilà qu'une vague vient asperger le pont, la descente et moi avec... Bon, le ton est donné... Le vent, censé faiblir, semble se maintenir et même se renforcer encore... On est à 22 nœuds de moyenne, ici, dans la baie... Ce qui signifie facilement 40 nœuds voire plus à Tarifa, une situation plus qu'incertaine en arrivant aux Canaries... Une houle de 4 mètres accompagnée d'une mer très forte prévue...Trop de paramètres négatifs sont pronostiqués, et avant même de hisser la grand voile, Lionel, le capitaine, me demande mon avis (moi je ne serais même pas sortie du port en fait)... Puis décide de faire demi-tour, le risque encouru pour notre équipage étant trop important... Ouffff, il n'est pas fou et surtout raisonnable, je suis tellement soulagée... En rentrant dans le port, on croise un autre voilier qui s'en va, on ne sait pas trop dans quelle direction... Y'en a qui n'ont pas peur et surtout plus d'expérience que nous peut être !
La manœuvre d'amarrage ne se passe pas trop mal malgré le vent soutenu... Nous voilà de nouveau à notre place de port, direction le lit... Et dans l'après midi qui a suivi, nous nous sommes rendu à Europa Point (à pieds bien sûr!) c'est à dire à la pointe extrême du rocher de Gibraltar d'où l'on aperçoit la sortie du détroit et la côte africaine. De là, nous avons constaté à quel point nous avions pris la bonne décision : la mer écumait et le vent n'a jamais diminué, bien au contraire ! Une accalmie semble se profiler dès le vendredi, cette fois, la météo semble plus stable, peut être bien le vrai grand départ ??
Dimanche 25 janvier 2015
Aujourd’hui, notre moral est aussi bas que le plancher océanique qui défile sous nos pieds… En effet, notre rêve tant convoité et attendu vire au bord du cauchemar… Rassurez-vous, nous sommes en très bonne santé, quoi qu’un peu fatigués mais physiquement, tout va pour le mieux… En revanche, c’est notre bateau qui a l’air de flancher… Iti Manawa n’est pas aussi robuste qu’il n’y paraît, et j’espère que ce sera sa dernière mauvaise surprise ! De toutes manières, il nous les a à peu près toutes faites, je ne vois pas ce qu’il pourrait encore bien inventer (en fait si, je vois très bien ce qui pourrait encore nous arriver mais je préfère ne même pas l’envisager tellement ça serait dramatique).
Nous sommes au large du Maroc, à environ mi-parcours entre le détroit de Gibraltar et la première île des Canaries, Lanzarote, cela fait à présent 3 jours et deux nuits que nous sommes en mer, sans terre visible…
Nous avons largué les amarres et quitté cette veille Europe le vendredi 23 janvier 2015 à 7h30. Bien sûr, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, tellement angoissée par cette première traversée… Mais nous étions sereins cette fois-ci, tout était prêt et la météo également était de la partie. En effet, un petit vent de secteur Ouest, Nord Ouest d’à peine 15km/h soufflait sur Gibraltar, nous permettant de hisser nos voiles et prendre la direction de la sortie de la baie, tout en slalomant entre les énormes paquebots à l’ancre. Il faisait encore nuit mais plus pour longtemps et lorsque nous avons atteint la limite de la baie, nous étions à 3 heures après la pleine mer au point stratégique, c’est-à-dire face au détroit, au moment où les courants s’inversent. En longeant la rive côté espagnol, le courant devait nous pousser vers la sortie. Au départ, c’est la cas, nous observons des phénomènes étranges de tourbillons des eaux qui se mélangent, des courants qui se croisent, c’est assez inouï et cela me rappelle la Nouvelle Zélande, à la pointe de l’extrême Nord, là où les deux Océans se rencontrent (Pacifique et Mer de Tasmanie) et où l’on croirait l’eau « danser ». Puis tout à coup, le bateau semble figer et faire du surplace… On tourniquote un moment puis on démarre le moteur pour se sortir de là et éviter de rester coincer trop longtemps et se prendre le courant de face. Incroyable la force du courant, surtout ne pas se rapprocher du centre, bien rester le long de la Côte sous peine de croiser le courant fort. On parvient finalement jusqu’à Tarifa, fameux spot de kite surf et planche à voile réputé pour ses vents forts. On prend un ris et on enroule un bout de génois par sécurité car le vent souffle déjà à 15 nœuds et il peut facilement doubler au passage de la pointe. En effet, ça souffle un peu plus fort par ici, mais le bateau passe facilement au regard de tout ce qu’il a eu à affronter avant !
Puis ça y’est, nous voilà enfin sortis du détroit, nous sommes enfin dans l’Océan Atlantique, depuis le temps qu’on l’attendait ! La houle est assez importante mais agréable et ronde, le bateau fuse car il est toujours poussé par les courants et le vent souffle dans ses voiles dans la bonne direction. Au bout d’un moment, nous décidons de « couper » le rail, c’est-à-dire le passage « imaginaire » que doivent emprunter les cargos pour sortir et rentrer dans le détroit. Nous le coupons le plus loin possible car nous souhaitons aller chercher un peu d’air au large et nous ne tenons pas à nous rapprocher des côtes marocaines (paraît que c’est déconseillé ces temps-ci). Le bateau file bien, je suis tellement soulagée d’avoir passé la partie la plus technique du parcours ! Finalement, bien préparés et avec des conditions météos adéquates, il y’ a peu de risques… mais cela peut vite devenir dramatique avec des éléments déchaînés !
Au départ, la mer est plutôt calme et tout à coup, à notre immense joie, en observant quelques fous de bassens posés sur l’eau, un banc de dauphin s’approche et accompagne Iti Manawa pour ses premiers bords en Atlantique. On est tellement émus, on en pleure (enfin surtout moi !) ! Ils sont de deux couleurs, ils nous regardent du coin de l’œil et nagent au plus près de l’étrave, c’est tellement beau ! Puis ils repartent, nous laissant dans cette immensité grisâtre peuplée de monstres de fer… Mais quelques minutes plus tard, ils reviennent encore plus nombreux, on voit des petits avec leur mère, ils sautent de partout, on voit leur souffle sortir de l’eau, c’est magique !
Puis la nuit tombe… sans lune, d’épais nuages bouchent le ciel et le rendent encore plus dense et noir d’encre… Le vent n’est pas tout à fait dans la bonne direction, nous obligeant à tirer des bords ce qui va rallonger notre parcours et augmenter la durée, ce qui n’est pas pour nous ravir. C’est vrai qu’on aimerait en avoir fini au plus vite pour profiter un peu des Canaries avant l’arrivée de Pascal. Et puis c’est vrai que les traversées ne sont jamais bien passionnantes à mon goût… C’est une expérience certes, mais en termes d’attrait touristique, il y’a mieux, surtout lorsqu’il fait si froid !
Lionel prend le premier quart mais le vent monte et le bateau est alors balloté dans tous les sens m’empêchant de trouver le sommeil. Vient mon tour, je mets le pilote automatique et jette un œil de temps à autres pour m’assurer que nous ne sommes pas en route de collision avec un autre bateau mais je passe la nuit assise à la table à carte, couverte comme au ski et je dévore mon livre pour m’évader…
Le lendemain, le ciel s'obscurcit de nuages, c’est un peu triste, la houle grossit et le vent tourne ce qui nous permet de faire route directe, au vent arrière, une allure un peu délicate. Prise d’une migraine et frigorifiée, je ne passerai que très peu de temps dehors, j’alterne les draps chauds avec ma bouillote et la table à carte pour faire le point. Lionel en revanche tient bon la barre, il se régale à régler le bateau, à optimiser ses performances. Il est vrai que nous avançons à vive allure, 9 nœuds de moyenne ! Puis tombe la nuit… Le vent monte encore, Lionel est de quart, toutes voiles dehors. Je l’entend enrouler le génois et retirer le tangon qui gardait la voile largement ouverte. Je commence à m’inquiéter un peu et surtout il m’est impossible de dormir tant je suis roulée de gauche à droite dans la cabine. Je me lève et nous décidons d’affaler la grand voile et de ne garder qu’un bout de génois car le vent souffle assez fort désormais. Dans un premier temps, nous tournons le bateau face au vent, des rafales à plus de trente nœuds s’engouffrent dans le mât mais la grand voile s’affale sans problème. Lionel s’empresse d’aller tout ranger sur le pont et de remonter la fermeture éclair du lazy bag qui reste coincée ! Nous sommes arrêtés, face au vent et roulés dans les vagues… De mon côté, je borde la grand voile pour la ramener au centre du bateau et la fixer. Tout se passe sans encombres, nous voilà donc sous génois seul, enroulé d’un quart. Tout à coup, je vois une lueur d’affolement dans le regard de Lionel « Où est mon téléphone ?? » En effet, Lionel se sert de son téléphone comme de GPS, il a toutes les cartes marines dessus et ce qui lui permet de faire le point, vérifier sa route, son cap, sa vitesse, en fonction des cartes des vents qu’il télécharge avant de partir, tout en lui évitant d’avoir à descendre à la table à carte à chaque fois. Son téléphone est dans une housse étanche spécifique et dans un petit boitier plastique attaché à côté de la barre à roue. Et là, le boitier a disparu… C’est l’affolement sur le pont, on éclaire et on vérifie de partout où cette boite a bien pu tomber. On se dit que c’est pas possible, que le téléphone a du se coincer quelque part. On a beau chercher, rien. La mer l’a emportée avec elle, sans doute au moment de la manœuvre, un des bouts a dû embarquer le boitier et nous nous en sommes rendus compte bien trop tard… L’énervement mêlés à la peine s’emparent de nous… J’en ai marre, je suis fatiguée, j’ai froid, mal à la tête et il n’y a rien d’agréable depuis notre départ, seulement des dépenses exorbitantes de prix de port à payer, des pièces à changer et là, environ 500 euros de matériel qui viennent de partir à la flotte. Je suis dégoutée, épuisée, je donnerai tout pour être ailleurs, qu’ici sur ce putain de bateau qui nous engouffre avec lui…
Mais la série est loin de s’arrêter là. Depuis quelques heures, nous remarquons un bruit suspect un niveau du safran (gouvernail), jusqu’à présent inaudible… Lionel s’engouffre dans le coffre pour aller constater le problème. Il m’annonce qu’il y’a une petite fuite d’eau accompagné d’un jeu au niveau de la mèche de safran… Qu’il va falloir sortir le bateau de l’eau pour connaître la gravité exact du problème et qu’en attendant, il va falloir réduire l’allure pour limiter la dégradation éventuelle de la pièce. Cette nouvelle finit de m’achever, je fonds en larme d’épuisement et de dégoût… Pourquoi j’ai laissé tous ces gens que j’aime et qui m’aiment pour aller risquer ma vie, pourquoi ne nous sommes pas cantonnés à une vie à la campagne avec des animaux ? Pourquoi se mettre en danger, quel est le but, où avons-nous pris du plaisir jusqu’à présent ? Qu’est ce que ce que ce voyage va nous apporter à part des dettes immenses, des problèmes incesssants à régler ? Pour l’instant, on va de galères en galères, depuis son achat. D’abord nous avons cassé l’étai en Corse au moins de juillet. Puis il a fallu équiper le bateau avec cuves à eaux noires, étai largable, faire refaire certaines voiles, au moment du carénage, solutionner ce problème de fissure dans la quille, puis le mât qui avait bougé, puis il y’a eu cette attente interminable du portique qui a considérablement retardé notre départ… Ensuite, une fois sur l’eau, on s’est pris baston de vent, le froid qui nous a obligé à aller dépenser une fortune dans les ports et là, juste avant la transatlantique, le safran qui a un problème… Là c’est trop, je suis blasée, exténuée, déprimée et je voudrais être dans le canapé de mes chers parents, autour d’un bon goûter, en regardant souffler le vent dehors et Typi pointer ses petites oreilles... Au lieu de ça, je suis au milieu de l’Atlantique pendant encore au moins trois jours, brassée comme dans un shaker sur un bateau qui ne nous conduit pas, je l’espère sincèrement, vers les abîmes…
Mercredi 28 janvier 2015
Nous voilà enfin arrivés, au mouillage sur l'ïle de La Graciosa, au pied d'un volcan arborant des couleurs jaunes, rouges, blanches, des coulées de lave noire se jetant dans l'Océan, à nos pieds sous le bateau. La récompense est là...
Plus de 650 miles parcourus en 92 heures, (soit 1000 kilomètres en 4,5 jours), sans voir la terre, sans jamais stopper, sans croiser d'autres humains que nous deux... C'est fait... des conditions musclées puisque nous aurons eu jusqu'à 30 nœuds de vent, y compris la nuit, une houle d'environ 3 mètres avec une mer agitée, parfois forte. Nous avons navigué plein vent arrière avec un vent de secteur Nord/Nord Ouest au départ, qui a rapidement viré Nord/Nord Est. Au départ nous avions Grand-voile haute et génois et nous avons tirer des bords sur environ 30 miles, juste après le passage de Gibraltar. Puis nous avons pu mettre cap au Sud, en route directe vers les Canaries, et le vent forcissant, nous avons fini par affaler la Grand voile, d'une part pour éviter les empannages la nuit et d'autre part pour éviter trop forcer sur le safran. De ce fait, le bateau oscillait tout le temps, de droite à gauche, plus ou moins fort selon l'intensité du vent, nous empêchant de dormir car difficile de se caler, ni même de cuisiner... Les journées étaient longues, Lionel à la barre la plupart du temps et moi le remplaçant de temps en temps, mais tellement froid que je lisais à l'intérieur, tout en essayant de me reposer dès que les conditions le permettaient... Mais le pire c'était encore la nuit... Lionel tenait en général jusqu'à 3 heures du matin, puis je prenais le relais, mon rôle étant surtout de surveiller une éventuelle collision... Trop terrorisée par la nuit noire et la mer déchaînée pour rester sur le pont, j'en ai lu des livres et des livres derrière la table à cartes avec ma veste de quart sur le dos et l'oeil en permanence sur le GPS...
Nous avons régulièrement surveillé le safran, l'écoulement et le grincement évoluant peu, nous avons décidé d'augmenter la cadence afin d'atteindre notre premier mouillage de jour... Iti Manawa fusait littéralement, avec des pointes au surf à plus de 13,3 nœuds, c'était grisant, il avalait les miles à une vitesse fulgurante, nous rapprochant peu à peu de la terre !
Le dernier jour, le soleil a disparu, voilé par d'épais nuages... Au loin tout de même, ça y'est, on aperçoit un petit bout de terre ! Quelle joie, nous ne sommes plus seuls au milieu de l'Océan, nous allons enfin pouvoir jeter l'ancre dans une jolie crique et nous poser calmement ! Puis soudain, pour nous souhaiter la bienvenue aux Canaries, une petite troupe de dauphins vient nous saluer ! Encore une fois, on oublie tous les mauvais moments et on profite de cet instant de vie sauvage qui se faufile sous nos yeux ! Ils nous accompagnent un moment puis le jour tombe peu à peu, notre lieu de mouillage est encore loin, nous voulions absolument arriver avant la nuit mais on s'aperçoit que ca va être limite ! Pas le choix, on continue, les hauts fonds créent de grosses vagues, juste en arrivant en vue de l'île de Lanzarote, c'est impressionnant, le vent ne faiblit pas non plus. Alors que je suis en bas, Lionel allume sa caméra et se rend à la proue du bateau pour filmer les cônes volcaniques de l'île... Et soudain, au bout de quelques minutes, je sens le bateau prendre de la gîte, inexorablement, et je comprends avec effroi que le pilote automatique ne n'est pas enclenché correctement et que l'on risque l'empannage à tout instant... avec Lionel à l'avant, c'est d'autant plus dangereux ! Et là, retentit un énorme claquement sec, c'est la poulie dans laquelle nous avions passé la retenue de baume qui vient d'exploser en mille morceaux!(en effet, lorsque nous naviguons au vent arrière, pour éviter les empannages dangereux, nous fixons une corde qui retient la baume au cas où). Plus de peur que de mal puisque Lionel était derrière la barre à roue lorsque c'est arrivé, il aurait été sur le pont ou dans le cockpit, ça aurait pu être dramatique... On n'est jamais tranquilles finalement, même lorsque l'on croit que tout est sous contrôle, le risque zéro n'existe pas en bateau !
Le soir tombe et nous arrivons enfin au pieds de falaises plutôt inhospitalières et inquiétantes, sentiment renforcé par la pénombre, c'est presque lugubre, on devine des anciens cratères tout pelés juste derrière... Il nous faut affaler la grand voile et enrouler le génois, je panique complètement car j'ai l'impression que nous sommes trop proches des falaises et que nous allons nous écraser à leur pied ! On s'engueule un bon coup avec Lionel, c'est rare mais la fatigue et la tension accumulées ces derniers jours est tellement pesante qu'elle éclate d'un coup, juste avant d'arriver ! Chacun évacue à sa manière et nous reprenons la manœuvre pour s'engouffrer dans l'étroit passage entre les deux îles, La Graciosa et Lanzarote. Guidés par le gps et en devinant les contours des berges, nous trouvons finalement la petite crique conseillée par Cécile et Bruno, dans laquelle ils avaient passé un séjour formidable. Nous jetons l'ancre au fond la petite anse et nous nous écroulons de fatigue !
Le lendemain matin, nous sommes réveillés par un bruit de... klaxon ! Au départ, je pense que c'est dans mon rêve mais je réalise soudain que le bruit provient de l'extérieur... Je passe une tête en trombe et j'aperçois une vedette à moteur avec trois hommes à bord, sur le coup, je pense qu'ils viennent s'écraser sur nous, j'appelle Lionel à la rescousse ! En fait, ce sont juste les gardes côtes qui nous signalent que le mouillage est interdit ici, qu'il faut se déplacer dans l'anse suivante...
On lève l'ancre, encore enfarinés, à la recherche de cet autre mouillage... Nous décidons d'aller voir un peu plus loin, sous le cône volcanique mais les lieux sont peu accueillants et surtout pas abrités, nous optons donc pour la crique conseillée par les gardes côtes. A quelques mètres à peine, un catamaran échoué sur les rochers découverts à marée basse... gloups ! Pas intérêt à décrocher notre ancre, sinon nous subirons le même sort que lui ! Après un petit déjeuner pantagruélique, nous décidons d'aller inspecter le safran qui émet toujours des bruits suspects... Rien d'apparent, nous appelons le SAV de Jeanneau pour exposer le problème, ça semble mal barré l'histoire, il va nous falloir trouver un port où nous allons devoir gruter le bateau et sans doute devoir nous faire livrer la pièce défaillante... ça nous attaque le moral... surtout que nous ne pouvons même pas profiter de ce lieu car il nous faut repartir le lendemain matin, direction l'Ile de Ténérife pour récupérer Pascal qui nous rejoint pour faire la Transatlantique... Malgré tout, nous fêtons notre arrivée aux Canaries avec une délicieuse raclette, fromage rapporté par maman pour Noël, quel régal !
Le lendemain, le jeudi 26 janvier 2015, nous voilà repartis pour une navigation de 175 miles afin de rejoindre Ténérife. Le vent est toujours soutenu, la houle assez forte et malheureusement, les nuages gris encombrent toujours le ciel... Dommage, l'endroit a vraiment l'air typique, de nombreux anciens cônes volcaniques pointent au loin et des tons ocres semblent se distinguer... Tout à coup, trois dauphins viennent jouer à l'étrave, ils nous font une démonstration d'agilité digne de Marineland... puis ils repartent et quelques minutes après, ils sont rejoints par la famille entière, une bonne vingtaine, des mamans avec leurs petits, ils nous suivent un long moment, ils nous font des cabrioles, des sauts en décalés, c'est absolument magique, encore une fois, nous sommes transportés et nous oublions la pluie qui commence à tomber, le bruit du safran et l'iphone coulé...
Des hauts fonds créent des vagues significatives et le vent se renforce également, le plafond nuageux est bas, nous voilà donc repartis pour 24h de navigation le long des îles des canaries... Nous naviguons sous génois seul, le bateau avance quand même à 7 nœuds de moyenne, c'est plutôt pas mal mais le capitaine estime que l'on peut gagner quelques nœuds en hissant la grand voile afin d'arriver à Ténérife le plus tôt possible le lendemain matin... Nous voilà donc au près pour faciliter l'établissement de la voile, la houle de face, le bateau s'enfonce dans les vagues, c'est impressionnant ! Lionel est au pied de mât et je suis à la barre mais on s'aperçoit que la drisse de grand voile s'est tout entortillée au sommet et bloque la fin de la manœuvre.... Lionel décide de sortir la drisse pour la remettre bien à plat et là, la drisse s'échappe du mât... Bon, hisser la grand voile devient alors impossible sans drisse et c'est trop compliqué et risqué de monter au mât pour la refaire passer correctement... Tant pis, nous réglerons le problème dès notre arrivée et nous naviguerons sous génois seul, cela préservera peut être un peu le safran...
Les milles s'enchaînent rapidement même si la mer est par endroit un peu forte... Lionel évite un grain qui nous envoie beaucoup de vent, puis nous rentrons dans la nuit, noire encore une fois à cause des nuages... Un rapide dîner puis Lionel retourne barrer car sous pilote automatique, le safran fait un bruit épouvantable... Nous devinons les différentes îles au large desquelles nous passons, j'ai quand même hâte d'arriver et de toucher terre enfin... Le jour se lève et découvre le Mont Teide qui culmine à plus de 3000 mètres au centre de l'Ile de Ténérife. Autour c'est tout pelé... Le soleil est de sorti et une petite brise l'accompagne et nous pousse doucement jusqu'à la Marina San Miguel, à la pointe Sud de l'île, à quelques kilomètres de l'aéroport où Pascal arrive dès le lendemain matin.
Nous expliquons notre problème de gouvernail au responsable de port et nous envisageons de sortir le bateau de l'eau. Nous attendons Pascal avec impatience, un œil extérieur est toujours le bienvenu, et Pascal est très astucieux et bricoleur, avec un peu de chance, nous parviendrons à résoudre le problème rapidement. Nous avons grand hâte de le retrouver pour partager tout ce que nous avons vécu jusque là, qu'il vive un bout de notre rêve et nous aide à le réaliser grâce à sa présence pour la Transatlantique !
Voilà donc notre Pascal à bord dès le samedi matin à 9h ! Quelle joie de le retrouver ! Il nous redonne le moral grâce à son optimisme et son positivisme, nous sommes tellement désolés de lui annoncer la mauvaise nouvelle du safran... Mais peut être arriverons nous à trouver une solution sans avoir besoin de sortir le bateau de l'eau... On croise les doigts !
En attendant, nous voilà partis à la recherche d'un supermarché en vue de notre approvisionnement pour le mois à venir sur les flots. Nous revenons chargés d'énormes sacs à dos avec plus de 5 kilos d'oranges à bord ! Le soir, on s'offre un énorme steak au restaurant, avec des frites, quel délice !
Puis le dimanche sera consacré aux aménagements et réparations indispensables avant notre grande traversée. Il s'agit tout d'abord de repasser la fameuse drisse de grand voile en haut du mât... Ce n'est pas une mince affaire, ça prend un moment, Lionel en haut du mât crée une fois de plus l'animation du ponton !! Puis quelques épissures à réaliser, des renforts à placer sur la grand voile, des vis de fixation à rajouter sur l'étai, des pastilles et des penons à coller sur le génois, le tout entrecoupés d'apéros et de discussions passionnantes sur les chevaux (oui, Pascal est ancien maréchal ferrant !) et d'une mise à jour sur l'actualité française, pas bien brillante... Et le dimanche soir, il faut se rendre à l'évidence : il va falloir sortir le bateau de l'eau et le stationner sur l'aire de carénage afin de procéder à la réparation du safran, impossible à réaliser dans l'eau... Nous sommes dépités, et pour se consoler, on montre à Pascal les quelques vidéos de notre courte traversée... Et dire qu'on sortait le bateau à Bandol il y' a seulement 3 mois, et qu'à l'heure qu'il est nous devrions être en Atlantique, en train de programmer notre croisière dans les Caraïbes... Pas facile de garder le moral, de poursuivre notre rêve sans qu'il se transforme en cauchemar, nous avons choisi cette vie mais depuis notre départ, on peut dire que l'on n'a pas vraiment profité. Nous avons beaucoup navigué, dans des conditions plutôt extrêmes, sans profiter des escales et nous multiplions les problèmes techniques, pas facile de se conforter dans l'idée que nous avons pris la bonne décision !
Mardi 3 février 2015
Voilà Iti Manawa et son équipage dans une position encore inédite : nous sommes à plus de trois mètres du sol (ça nous l'avions déjà vécu au carénage à Bandol) mais cette fois, nous sommes suspendus aux sangles de la grue de San Miguel, et ce pour au moins trois jours !
Et oui, malgré l'assurance du patron concernant notre calage à terre lorsque nous lui avions annoncé notre tirant d'eau de 2,55 mètres, ce matin, lorsque les « marineros » ont sorti le bateau de l'eau, tout le monde s'est rapidement aperçu que la mise sur ber s'avérait impossible...
D'une part car la marina ne détenait pas de bers suffisamment costauds pour notre bateau (les seuls qui auraient pu convenir était sous la coque d'un First 47, lui aussi en attente d'un nouveau safran!) et d'autre part car il fallait lever le bateau assez haut pour pouvoir retirer le safran sans problème... Donc, après discussions et plates excuses du directeur, la décision est prise de laisser le bateau en suspension dans la grue jusqu'à la livraison et montage de la pièce ! Car nous avons pu démonter le safran et constater que la pièce défaillante s'avérait être une bague en aluminium complètement détériorée à cause de la corrosion.
Après un appel auprès de la société Jeanneau qui nous apprend que cette pièce n'est plus disponible, le responsable du carénage nous explique que le frère du directeur détient une usine qui fabrique des pièces en métal ! Une chance inespérée, ça ne pouvait pas tomber mieux ! Un ouvrier passe alors prendre les mesures de cette fameuse bague abimée pour en fabriquer une nouvelle, en inox cette fois-ci afin d'éviter la corrosion à l'avenir !
En attendant, nous préparons le support et renforçons l'attache du safran (un genre de cylindre relié au bateau et dans lequel vient se fixer la mèche du safran). Le pauvre Pascal est une main d'oeuvre précieuse, ses conseils judicieux et son œil avisé permettent d'optimiser les réparations et surtout de garder bon moral ! Pas facile dans ce genre de situation, j'avoue que sans lui à nos côtés, le projet serait sérieusement remis en question...
Pas facile de ne pas baisser les bras dans des cas pareils, nous avons eu tout ce qui était possible sur le bateau, il ne manquait que le safran, peut-être que l'on va enfin pouvoir être tranquille et profiter enfin un peu après cette dernière grosse intervention ! La morale est que si c'était à refaire, nous achèterions sans doute un bateau plus petit mais plus récent et peut-être moins typé course... En effet, cette quille de 2,55 mètres risque de nous poser souvent problème, pour trouver des places dans les ports en cas d'urgence (cyclone annoncé), pour gruter le bateau si besoin (grue suffisamment grosse) et tout simplement pour naviguer dans les lagons idylliques des Caraïbes souvent peu profonds... Et puis un bateau de cette catégorie nécessite un accastillage plus onéreux car plus performant... Bref... Le bateau fuse et c'est un réel plaisir à barrer, on ne peut pas tout avoir !